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Pike éteignit son portable dès qu’il fut seul. Il s’arrêta au premier centre commercial qui se présenta sur son chemin, monta jusqu’au dernier étage du parking et redescendit aussitôt, afin de voir si quelqu’un le filait. Il ne remarqua rien, mais il n’avait rien remarqué non plus la dernière fois. Il ne comprenait toujours pas comment ils avaient pu le suivre.
Pike ressortit du parking par la même voie et revint trois blocs en arrière. Il fit à nouveau demi-tour en passant en revue tous les véhicules qu’il croisait, sans apercevoir quoi que ce soit de suspect.
De retour au centre commercial, il se gara au premier étage du parking et se glissa sous le châssis de sa Jeep. Il ne découvrit rien, mais cela ne le satisfit pas.
Il s’épousseta de son mieux et pénétra dans le centre. Il s’acheta un téléphone portable premier prix, des batteries de rechange, et une carte prépayée donnant droit à deux heures de communication. Assis sur un banc en face d’un magasin de cuisines, Pike passa dix minutes à activer le portable et sa carte ; il appela ensuite Elvis Cole.
Cole attendit quatre sonneries avant de décrocher, ce qui n’était pas dans ses habitudes : il ne reconnaissait pas le numéro.
— Elvis Cole à l’appareil.
— C’est moi. Où est Rina ?
— Chez Yanni. Je l’ai déposée après notre virée.
— Rends-moi service, va les chercher. L’ATF sait que je me suis pointé là-bas, et ils me soupçonnent d’avoir une source sur place. Ils la veulent.
Cole émit un léger sifflement.
— Comment tu sais ça, toi ?
— Je viens de passer trois heures avec eux.
Pike résuma ce qu’il avait découvert à Willowbrook, ce qui s’était passé après que Walsh eut donné l’ordre de l’embarquer, et les informations qu’elle lui avait fournies sur Darko.
— On ne parle plus seulement d’une bande qui assassine les gens chez eux : ces gars-là s’apprêtent à introduire trois mille kalachnikovs automatiques dans le pays. C’est pour ça que les feds sont sur le coup.
— J’y vais, dit Cole. Tu veux que je les ramène chez moi ?
— Provisoirement. Je passerai dès que je leur aurai dégoté une planque.
Pike appela ensuite Jon Stone. La sonnerie retentit cinq fois avant le déclenchement de la boîte vocale, et Pike attendit le bip.
— Ici Pike. Vous êtes là ?
Stone répondit à très haute voix, sur fond de Nine Inch Nails.
— Putain, mec, je reconnaissais pas le numéro.
— Quelqu’un a réussi à me trouver sans me suivre, Jon. C’est pour ça que j’ai changé de portable. Il y a peut-être un souci sur ma Jeep.
Nine Inch Nails disparut.
— Vous roulez dedans ?
— Oui.
— Attendez-moi. J’arrive.
Vingt minutes plus tard, Pike s’engageait sur l’aire d’un centre de nettoyage auto et contournait par l’arrière la station de lavage, conformément aux instructions de Stone, jusqu’à être invisible de la rue. Le 4x4 Rover noir occupait un des emplacements, à côté d’une Porsche noire que bichonnaient deux jeunes Latinos. Stone était avec eux et riait de quelque chose quand il vit arriver Pike. Il lui indiqua l’emplacement libre de l’autre côté de son Rover, et Pike se gara dessus. Un des Latinos avait les bras couverts de tatouages de gang. Personne ne se retourna lorsque Pike descendit de sa Jeep.
Stone ouvrit le coffre de son Rover et en sortit une longue perche en aluminium à l’extrémité de laquelle un miroir amovible était relié à un boîtier muni de capteurs et d’antennes. Les missions de sécurité de Jon l’amenaient fréquemment à effectuer des recherches d’explosifs et d’appareils de surveillance en tout genre. En bon pro, Jon disposait de tout le matériel adapté à ce genre de tâche.
Il promena son boîtier sous la Jeep, parlant à Pike et surveillant le cadran intégré à la poignée.
— Vous avez retrouvé ces fumiers ?
— Les braqueurs, oui. Ils étaient morts.
— Sans déconner. Qui leur a fait la peau ?
— Leur chef.
— Des petits merdeux sans honneur. La note du boucher s’élève à combien ?
— Trois. Le chef court toujours, mais c’est fini pour ceux-là. Il en reste un.
Stone fit halte entre les phares de la Jeep, les yeux rivés sur son cadran. Au bout d’un certain temps, il se remit en marche et boucla son tour complet avant de revenir à l’avant. Il laissa sa perche de côté et se faufila sous le moteur avec force contorsions.
— Nous y voilà.
Il se remit debout et montra à Pike un petit boîtier gris de la taille d’un paquet de cigarettes.
— Un mouchard GPS. Du Raytheon très haut de gamme, spécialement fabriqué pour la NSA. Ce genre de matos coûte la peau du cul. Des fédéraux ?
— L’ATF.
Stone sourit largement.
— En ce moment même, un de leurs agents est en train de suivre vos déplacements en temps réel sur l’écran de son ordinateur portable, mon vieux. Il doit déjà savoir que vous vous êtes arrêté au centre de lavage de Santa Monica Boulevard.
Il lança le mouchard à Pike.
— Trois solutions : vous le désactivez, vous le balancez quelque part, ou – ma préférée – vous le collez au cul d’une camionnette FedEx et vous les laissez se promener derrière aux quatre coins de la ville.
Pike ne tenait pas à ce que Walsh sache qu’il avait découvert son mouchard, ni même qu’il avait pensé à le chercher, mais il ne voulait pas non plus qu’elle continue à surveiller ses allées et venues. S’il le posait sur un autre véhicule, elle ne mettrait que quelques heures à s’en rendre compte. À son tour, il lança le mouchard à Stone.
— Débranchez-le, et j’aurais besoin que vous fassiez autre chose.
— Pour Frank ?
— Oui.
— Comptez sur moi.
Pike l’informa de la vente d’armes qui se profilait : trois mille AK automatiques chinois volés aux Nord-Coréens.
— Jakovic ne les a pas volés lui-même, précisa-t-il. Il les a achetés à quelqu’un. Voyez ce que vous pouvez apprendre.
Stone hésita.
— Sur Frank ?
— Sur les armes. Frank n’a rien à voir là-dedans.
Stone hésita encore, puis hocha lentement la tête.
— Je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un, mais je veux ma part du tableau de chasse. Je vous aiderai à condition de pouvoir appuyer sur la détente. Pour Frank.
— Ça marche.